Au fil des semaines qui nous rapprochent du dimanche 29 octobre, départ de la seizième Route du café, les duos s’annoncent et se dévoilent, apportant la chair qui régénère tous les deux ans la Transat en double. « Fabriquer des couples, ça créée des histoires et de l'intelligence en plus » dit Gérard Petipas qui a imposé ce format dès la deuxième édition. « Ça a beaucoup plu aux anglo-saxons cette histoire de double et le format a probablement contribué à rendre l’événement plus international » ajoute celui qui en fût le directeur de course dès 1995.
LE DOUBLE, ADN DE LA TRANSAT JACQUES VABRE NORMANDIE LE HAVRE
Des duos d’anthologie
Il faut dire que l’actualité n’a pas tardé à offrir aux médias son lot de belles histoires au fil de castings parfois riches en surprises. Comme en 1997 où l’extra-terrestre Yves Parlier, s’aligne sur Aquitaine Innovations avec la légende Eric Tabarly, retraité de la course au large depuis 1989. « Eric avait donné son accord pendant mon précédent Vendée Globe alors que j’étais au large du Brésil, mais il ne s’en était pas ouvert à sa femme. Elle a découvert l’info par une indiscrétion du journal L’Equipe et je crois que je n’ai eu l’approbation de Jacqueline que le matin du départ du Havre ! » raconte Yves. Malgré un début de course mouvementé où un blackout électrique rive une nuit entière à la barre le sexagénaire avec un lumbago à la clef, le duo s’impose à Carthagène pour la deuxième victoire d’Yves Parlier. C’est aussi la dernière course d’Eric Tabarly qui disparait sept mois plus tard, un marin dont Yves se souvient encore aujourd’hui « de l’énorme recul et du bonheur d’être en course, de se raconter… »
Histoire très différente mais surprise aussi en 2003 lorsque Jean-Pierre Dick débarque au Havre avec Virbac, le premier 60 pieds Open sur plan Farr de l’histoire, flanqué d’un équipier, Nicolas Abiven, pas beaucoup plus connu que lui du grand public. Il y a du beau monde cette année-là en IMOCA (Jourdain, Riou, Golding, Josse,…) mais le vétérinaire s’invente entre Le Havre et Salvador de Bahia (Brésil) un destin de coureur au large et met tout le monde d’accord. « Nous sommes arrivés avec 7 heures d’avance sur le second, ce qui est rare et paraissait incroyable pour des régatiers qui n’avaient aucune expérience au large. Un hold-up en quelque sorte ! » dit Jean-Pierre avec le recul.
Copains ou coéquipiers ?
L’histoire est belle aussi lorsqu’elle embarque un tandem uni par le destin ou l’amitié comme en 2013 lorsque Vincent Riou s’élance aux côtés de Jean Le Cam sur le bateau à bord duquel Vincent a assuré le sauvetage de Jean lors du précédent Vendée Globe. Avec une victoire à la clef !
Faut-il d’ailleurs être copains pour s’élancer sur l’Atlantique pour deux à trois semaines de course ? Les avis sont partagés : « Les deux premières éditions, je pensais qu'il fallait partir avec un pote. Quelle erreur ! » s’exclame Yann Eliès qui participe d’abord avec son ami Bernard Stamm (2005) puis avec Sébastien Audigane (2007), témoin de son mariage. « Avec le recul, je sais aujourd’hui que tu as besoin de quelqu'un de différent pour t'aider à comprendre ta machine » dit celui qui repart cette année aux côtés de Yoann Richomme. Références communes (cinq victoires dans la Solitaire du Figaro à eux deux) mais une génération d’écart entre Yoann qui étrennera son IMOCA Paprec Arkéa et le Briochin qui lui fera bénéficier de son énorme expérience (triple vainqueur dont deux fois en IMOCA) « Il faut avoir fait l'inventaire de tes plus et de tes moins. Ne pas chercher ton double mais quelqu'un qui te pousse vers le haut » ajoute Yann.
Jean-Pierre Dick partage cet avis, lui qui dit : « La magie du double, c’est parvenir à tirer la substantifique moelle de son co-équipier, sans vivre le stress du solitaire » Le Niçois qui a remporté quatre fois l’épreuve (record qu’il partage avec Franck Cammas) avec Nicolas Abiven, Loïck Peyron, Jérémie Beyou et Yann Eliès, ajoute : « Ce qui est important, c’est que la mayonnaise prenne. Même si on courait sur mon bateau et avec mes partenaires, j’ai toujours essayé de mettre à l’aise mes co-équipiers et de donner toute mon énergie. Ça s’est toujours bien passé. »
Tranche de vie
Kito de Pavant qui n’a raté aucune édition de la Route du café depuis 2001 voit lui aussi dans l’exercice du double « un partage de compétences », mais dans lequel « l’affectif compte énormément, car c’est aussi le partage d’une aventure ». Cette année, Kito dispute la course en Class40 avec Bertrand Guillonneau, amateur éclairé, après avoir navigué avec des marins aussi différents que Jean Le Cam, François Gabart ou Yves Le Blévec. « Il faut se montrer plus souple, moins caractériel qu’en solitaire où tu agis souvent par instinct. Là il faut argumenter, être plus cartésien pour convaincre. Bref, le double, ça bonifie ! »
Il faut dire que le mélange des genres a parfois du bon. De croisements fortuits, naissent parfois de belles histoires, comme celle que raconte Vincent Riou, au départ cette année avec Aurélien Ducroz en Class40 : « En 2015, je cherchais quelqu’un de différent car j’avais l’impression de tourner en rond et j’ai proposé à Sébastien Col qui venait de la Coupe de l’America de m’accompagner. Il m’a répondu non ! Il faut dire que nous n'avions rien en commun ! J’ai fini par le convaincre et nous avons gagné. On est devenu très copains et j'ai aujourd’hui des discussions avec Sébastien que je n'ai avec personne d’autre ».
Dans la deuxième quinzaine de novembre, il faudra guetter les regards à l’arrivée à Fort-de-France. C’est ti punch aux lèvres que les langues se délient et délivrent la vérité d’une virée en mer qui n’a pas d’égal pour révéler son double.