Dans la catégorie IMOCA qui patiente depuis huit jours dans le bassin Paul Vatine, la liste des favoris est longue au petit matin du mardi 7 novembre. Tenants du titre, Thomas Ruyant et Morgan Lagravière en font nécessairement partie, même si l’avarie structurelle, survenue au départ du Fastnet, interroge certains sur l’engagement qu’ils mettront en début de course. Leur For People a subi un long chantier et le programme des premières 24 heures promet une entame très musclée.
Déjà en baie de Seine, ça sent le soufre lorsque les 40 IMOCA s’élancent en direct à 9h30. Tous les favoris sont au rendez-vous. Ça fume et ça vole pour For People qui rassure vite sur ses intentions, bien calé dans la roue de Charal sur lequel Jérémie Beyou et Franck Cammas mènent les hostilités. Un mot qui sonne juste car la sortie de la Manche fait de nombreux dégâts sur la flotte. Cinq bateaux finiront par abandonner suite à des avaries diverses (auxquels s’ajoute MACIF santé Prévoyance pour raison médicale annoncée avant le départ) et trois autres IMOCA reprendront leur course après un arrêt au stand.
UNE ENTAME SOLIDE
Le lendemain du départ, Samantha Davies confirme à la vacation « une mer énorme et des bruits horribles » au passage du front. « Maintenant, on fait du Sud très rapide, parfois un peu trop et on essaie de doser ! » précise la britannique bien installée dans le top 5 que son Initiatives Coeur ne quittera quasiment jamais de la course. Tout de suite dans le match, on retrouve aussi dans le paquet de tête Paprec Arkéa et For People, les deux quasi sister ship.
Après une sauvage descente du golfe de Gascogne dans laquelle For People tire la barre pour se décaler dans l’Est, la flotte aborde les côtes galliciennes où le vent se calme assez rapidement. Débute une course de placement dans laquelle Charal contrôle parfaitement la flotte jusqu’à buter le premier dans la dorsale et voir les bateaux décalés dans son Est s’aligner dans son sillage. Un peu en retrait, For People revient dans le match à ce moment-là. Débute un ménage à trois avec Charal et Paprec Arkéa qui va emmener les leaders à travers les Canaries pour finalement trouver un point d’empannage à moins de 100 milles des côtes marocaines avant de viser vraiment les Antilles. « Notre transat a vraiment démarré là dira à l’arrivée Thomas Ruyant. J’ai trouvé un nouveau rythme. Momo a pris plus régulièrement la barre en mode attaque (…) On s’est regardé et on s’est dit qu’on naviguait sur un des monocoques les plus rapides de la planète. Quel kif ! »
MÉNAGE À TROIS SOUS PRESSION
Mais que de route ! Le leader accomplira finalement plus de 5425 milles pour les 3750 théoriques de la route directe. C’est exactement ce qu’ont anticipé Justine Mettraux et Julien Villion au large du Portugal en simulant cette option Sud, qui privilégie la glisse mais s’annonce gourmande en milles. En comparaison, le routage qui fait passer au dessus de l’anticyclone promet 24 heures d’avance à Fort-de-France. Et comme Teamwork.net est décalé dans l’ouest ce qui n’est pas la meilleure posture pour traverser la dorsale, ça se tente. Au large de Gibraltar dans la nuit du 11 novembre, Teamwork.net fait sécession et s’en va-t-en guerre contre les vents d’Ouest pour 1300 milles de près. Une route qui ne manque pas de panache mais s’avère tortueuse et usante dans des vents très changeants, le froid et la grisaille…
Pendant que For People et consorts font leur grand tour par le Maroc, Teamwork.net abat de la route sur un bord nettement plus rapprochant et s’empare de la première place au classement. Son avance culmine à 300 milles dans le nuit du 12 au 13. « On a vu petit à petit qu’ils perdaient sur leur routage et que nous, on était en avance ». Le sablier s’inverse en effet et For People reprend la tête du classement le 15 Novembre. Le bénéfice final de l’option de Teamwork.net maintient le suspense encore 24 heures, jusqu’à ce que le bateau soit ralenti derrière le front en amorçant sa descente vers Fort de France.
A L’USURE
Désormais, la voie est libre pour For People qui maintient avec ses concurrents des moyennes ahurissantes, souvent au dessus de 23 noeuds, dans un alizé soutenu et une mer maniable. A la vacation du 17 novembre, Morgan Lagravière parle de conditions de vie « bestiales depuis cinq jours » mais se réjouit « d’avoir battu son record avec 26,9 noeuds sur 15 minutes» alors qu’on entend le sifflement permanent des foils, un enfer pour le duo ! A cette allure, les machines aussi sont sollicitées et aucune erreur n’est permise à l’empannage ou lors des changements de voile. Charal qui perd son grand gennaker en est la confirmation et se fait irrémédiablement décrocher à partir du 14 novembre.
Le placement compte aussi dans cette course de vitesse et d’empannages qui oppose désormais clairement les deux plans Finot-Conq/Koch qui se livrent une guerre sans merci dans laquelle s’invite l’excellent duo formé par Sam Goodchild et Antoine Koch sur l’ancien plan Verdier de Thomas Ruyant. Yann Eliès confirme que « l’ambiance n’est pas à la rigolade, plutôt tendue sur la performance ». Depuis les Canaries, Paprec Arkéa est un tout petit peu moins rapide que For People et c’est mille après mille que les tenants du titre creusent leur avance autour de 25 milles. A 48 heures de l’arrivée, Paprec Arkéa tente sa chance en se décalant vers le Nord-ouest pour toucher une bascule attendue en premier. Mais l’alizé reste bloqué et l’option tourne court. Lorsqu’il se recale derrière For People, le retard du tandem Richomme-Eliès est passé à 70 milles. A 400 milles de l’arrivée, l’affaire est entendue…
TUEURS SENSIBLES
En coupant la ligne en tête dans la nuit martiniquaise, Thomas Ruyant et Morgan Lagravière forment le premier binôme à réaliser le doublé sur deux Routes du Café successives dans la même catégorie. Ils marquent de leur empreinte la compétition en IMOCA en remportant toutes les transats disputées depuis le retour du dernier Vendée Globe, si l’on compte la victoire de Thomas dans la Route du Rhum l’an dernier. Un Thomas qui rend d’emblée hommage à son équipe sur le ponton, comme pour masquer l’émotion de marquer un peu plus l’histoire de son sport avec son copain « Momo », dont l’évocation lui tire vite les larmes.