« On l’avait dit au départ, la Transat Jacques Vabre n’était pas une course de préparation. Nous ne venions pas pour tester le bateau mais pour gagner. C’était une case à cocher dans le calendrier. Ça n’a pas été facile de l’emporter, il y a eu du match et nous avons été à fond jusqu’au bout, on n’a pas lésiné sur le bateau avec de belles moyennes jusqu’à l’arrivée ». A Fort-de-France hier soir, on retrouvait un Armel Le Cléac’h tel qu’on le connaît, heureux de constater que la détermination et l’application venaient une nouvelle fois de payer, comme aux grandes heures de la Solitaire du Figaro et du Vendée Globe qui ont fait sa réputation…
Même si Maxi Banque Populaire XI était en déveine depuis son lancement (3ème à la Route du Café 2021, 6ème de la Route du Rhum après le bris de sa dérive), il faisait bel et bien partie des favoris logiques au départ du Havre. En embarquant à ses côtés Sébastien Josse qui a défriché le vol océanique de 2017 à 2019 lorsqu’il était skipper de Gitana 17, Armel Le Cléac’h avait placé sa confiance dans «un marin qui en plus de tous ses talents, est un mec sympa et drôle ». Le binôme était aussi au départ celui qui a le plus navigué cette année avec une double transat d’entrainement, le Fastnet et les 24 heures ULTIM qu’il remportait d’ailleurs en septembre, mettant fin à une domination sans partage de Maxi Edmond de Rosthschild depuis 2019.
Le bon dosage dès le départ
Après le départ en baie de Seine qu’Armel qualifiait hier de « dantesque », les cinq grands trimarans disparaissent vite à l’horizon ce dimanche 29 octobre, emmenant dans un panache d’écume le mystère de ce qu’est vraiment une transat sur ces incroyables machines. Le lendemain, Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse sortent deuxième de la Manche et passent sous le DST d’Ouessant, laissant au duo Gabart-Laperche le soin de partir au front dans le Nord. La descente du golfe de Gascogne est moins rapide pour les futurs vainqueurs, un choix mûrement réfléchi selon Ronan Lucas, le team manager du projet : « Ils ont viré à l’intérieur pour se protéger de la mer dans le golfe. L’ambition était d’arriver à Madère avec un bateau à 100% de son potentiel, quitte à avoir un peu de retard ». Comme si la régate ne commençait vraiment qu’au way-point réclamé par le collectif ULTIM à la direction de course pour ne pas trop ouvrir le jeu sur le proche Atlantique et préserver la flotte. Une riche idée d’ailleurs puisqu’à posteriori, la catégorie des ULTIM est celle qui aura connu le moins d’avarie de cette Route du café, ce qui n’était pas écrit au départ.
Le coup de Madère
C’est à Madère donc que la course commence, celle de Maxi Banque Populaire XI en tous cas. En troisième position dans la dorsale que les ULTIM peinent à traverser, Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse virent à 21 heures le mercredi soir. Vu de la terre, on pourrait craindre un moment qu’ils partent s’abriter pour réparer quelque avarie à Porto Santo… Que nenni ! Marcel Van Triest a repéré depuis longtemps l’intérêt d’aller chercher la pression à l’Ouest. Il s’en ouvre à l’équipage qui répond : « On y va, on veut le tenter ! ». « C’était délicat de sortir du jeu et de s’écarter des concurrents. Dans ces moments-là, il faut être patient, car tu perds au début sur les autres. » dit Le Cléac’h. C’est donc parti pour une série de virements pour contourner l’île portugaise par son Nord. Douze heures plus tard, Armel et Sébastien s’emparent de la pole position et vont nettement plus vite que leurs poursuivants qui n’ont pourtant pas trop souffert des dévents de l’île.
Au fur et à mesure que les routes convergent vers le Pot au noir on comprend que la vitesse insolente au portant du tandem n’est pas seulement le fruit de son décalage Ouest. Vendredi, Maxi Banque Populaire XI abat 812 milles en 24 heures à la vitesse moyenne de 34 noeuds et se présente à l’entrée du Pot au noir au terme d’une superbe layline de 3000 milles avec 100 milles d’avance. « Avec le recul dit Marcel Van Triest le routeur de BP XI, c’est là que la course se joue. Si on était sorti du Pot au noir tous ensemble, on aurait eu 200 milles de retard à Ascension et on se serait peut-être retrouvés dans un autre système météo »
Piqués au vif
Car à la sortie de la zone de convergence, et après le contournement de l’archipel San Paulo et San Pedro, c’est au tour de SVR Lazartigue de faire montre de des qualités au près, supérieures à celles de Maxi Banque Populaire XI dans le petit alizé qui balaye l’Atlantique Sud aux latitudes tropicales. « Leur bateau est léger, ses appendices sont optimisés pour ce range de vent, pour décoller tôt, pour bien caper », constate Ronan Lucas qui ajoute « SVR avait des performances intrinsèquement supérieures sur ce tronçon et on a eu aussi un cumul de grains qui ne nous a pas aidé …» Toujours est-il que SVR Lazartigue fait l’intérieur à Maxi Banque Populaire XI et enroule en tête l’île de l’Ascension, marque la plus méridionale du parcours. Il reste 3000 milles au portant pour rallier Fort de France et on ne peut se douter alors que le coup d’éclat de SVR Lazartigue est un baroud d’honneur. Il durera huit heures seulement.
Piqué au vif mais pas déstabilisé par sa nouvelle position de chasseur, le tandem Le Cléac’h-Josse met du charbon et glisse à merveille. Comme il l’avait montré entre Madère et le Cap vert, Maxi Banque Populaire XI semble intouchable à cette allure et les marins qui le pilotent sont manifestement en confiance. « En avant-saison, nous n’avions pas cette facilité. On a clairement découvert des choses pendant la course raconte Sébastien Josse. Le bateau maintenant est fiable et on peut tirer dessus. Donc on peut tester de nouveaux trucs. Faire des moyennes de 40 noeuds, au début, ça nous faisait un peu peur. Maintenant, on n’hésite plus »
Sébastien Josse, est à son affaire sur cette Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre. Aiguillon de la performance et des nouveaux réglages, il filme aussi régulièrement et fait découvrir un co-skipper concentré mais heureux en mer, plus jovial que la machine dont Armel traîne l’image depuis longtemps. La suite semble une formalité et empannage, après empannage, le maxi bleu et blanc creuse son avance dans la bonne humeur, jusqu’à aborder la Martinique toujours à 35 noeuds de moyenne.
Double clin d’oeil
Dans la soirée antillaise, les deux compères peuvent savourer. Leur victoire est un double clin d’oeil. En 2013, Sébastien Josse l’avait déjà emporté. C’était sur un MOD70 modifié, avec plans porteurs sur les safrans, première expérimentation de vol océanique avant le lancement du projet Gitana 17. De l’eau a depuis coulé sous les foils pour Sébastien « heureux dans son rôle, associé à un projet gagnant sans en subir toute la pression ». La Transat Jacques Vabre est aussi un symbole pour Armel Le Cléac’h puisque c’est sur la Route du café qu’il avait fait ses premiers pas en multicoque océanique en 2005. L’expérience sur 60 pieds ORMA s’était soldée par un chavirage, « une expérience douloureuse » qui avait fait dire à l’époque au jeune skipper « jamais plus jamais ». Graver son nom 18 ans plus tard sur la promenade des vainqueurs du bassin Paul Vatine au Havre, a donc été une longue route pour Armel. Il rejoindra d’ailleurs sur cette frise historique de la course un autre Le Cléac’h, son frère Gaël, dont la plaque rappelle qu’il remportait l’épreuve en IMOCA aux côtés de Roland Jourdain en 2001.