La maille fine des trampolines tendus à tout rompre est tranchante, et c’est à la mine réjouie de la dame qui sautille pieds nus, que l’on mesure le privilège de monter à bord. Tout le monde voudrait pénétrer l’univers de ces incroyables machines et ça enchaîne sur SVR Lazartigue. Après une séance d’autographes dans la grande tente mutualisée par la classe ULTIM, François et Tom regagnent le bord. Quelques souvenirs pour l’équipe des Réseaux sociaux de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre pendant qu’un photographe ajuste ses flashs à l’intérieur pour une photo d’ambiance, c’est bientôt à nous.
Le temps d’observer ce bijou de technologie, monochrome bleu où l’obsession des gains aéronautiques a été poussée la plus loin de tous les ULTIM. Circuits d’écoute, câbles hydrauliques, accastillage, tout est à l’abri des bâches qui lissent chaque aspérité et tendent les lignes. Ne reste de cette épure que l’énorme poulie de génois au milieu du trampoline, avec son réa en inox, qui laisse imaginer les charges dingues en jeu.
L’intérieur est à l’avenant. On y accède par les petites bulles en se glissant à la verticale comme un pilote dans son avion de chasse. Dans la zone centrale, trône un fauteuil de veille amorti et inclinable avec l’ordinateur en frontal et le piano sous les pieds. Sur l’arrière, les colonnes de moulins à café ont été réhaussées pour voir dehors quand on fait tourner les deux énormes winches en carbone qui coûtent chacun le prix d’une citadine.
Au pied de chaque volant de barre style kart, se trouvent deux autres roues que les pilotes actionnent au pied. C’est la commande du volet de la dérive centrale, la fameuse aile de raie, celle qui permet de faire décoller la coque. « Pour réguler le vol, c’est beaucoup plus simple que de toucher aux écoutes, on l’utilise beaucoup » me glisse Tom…
Dans quel état d’esprit êtes-vous à 48 heures du départ ?
Tom : Il y a de la concentration, pas d’appréhension. Là, on commence à avoir un aperçu de la météo, on sait que ça va être musclé les premiers jours de course. Au fur et mesure qu’on s’approche de l’échéance, on est plus précis sur les forces de vent, l’état de la mer, les voiles qu’on va mettre, le timing des manoeuvres. Ça mobilise la concentration, la visualisation, on se fait le film des premières 48 heures de course.
Et mardi midi, vous serez rendus où environ ?
Tom réfléchit : Au large du Portugal à peu près.
François : Ce n’est pas les conditions les plus rapides. On pourrait aller beaucoup plus vite au Portugal dans d'autres conditions mais c’est quand même pas mal !
Est-ce qu’avec cette météo hivernale, l’enchaînement Transat-Tour du monde est toujours le bon selon vous ?
François : Pour bien préparer un tour du monde, il faut naviguer au maximum et dans toutes les conditions musclées. Il faut aussi naviguer avec de la confrontation et il n’y a rien mieux que la Transat Jacques Vabre qui est un objectif en soi. Bien sûr qu’il y a une part de risque mais il y en a aussi à l’entrainement et c’est assumé.
Partir à la rencontre d’un front qui balaye le plan d’eau, virer derrière dans de la mer forte, est ce que les ULTIM ont déjà fait ça ?
Tom: Pas beaucoup cette année. Au Fastnet, il y avait quand même un peu d’air non ? ! (40 noeuds en Manche NDR) C’était super d’aller naviguer dans des conditions fortes, ce sont des moments compliqués où l’on progresse parce qu’on est en course. Est ce qu’on aurait fait ça à l’entraînement, aller chercher de la brise dans le Solent et enchaîner les virements vers un front, je ne suis pas certain.
François : C’est sûr que ça va être difficile ce départ et qu’on ne fait pas les malins. Mais, un peu comme sur la Route du Rhum, on se rend compte que la vitesse des bateaux va être encore une fois un atout pour se sortir assez vite d’un système complexe. C’est quand même plus confortable, je sais pas si le mot est très adapté, pour se sortir des situations type Atlantique Nord en automne.
(François fait allusion à la deuxième dépression qui débarque sur l’Atlantique mardi-mercredi, que les ULTIM devraient avoir parée NDR)
Il y a deux ans, c’était la découverte de ce trimaran, où en êtes-vous de la courbe de progression ?
Tom : On n’est pas à 100% parce que sur un bateau de cette taille-là, deux ans ne sont pas suffisants pour avoir fait le tour de toutes les problématiques de réglage. On a quand même passé une bonne marche par rapport au tout début du bateau. En 2021, la dimension technique était beaucoup plus importante. C’était un défi technique d’avoir un trimaran fiable pour traverser l’Atlantique et on avait été fier avec toute l’équipe de réussir. La notion de performance a pris toute sa dimension depuis. Nous avons des convictions plus fortes sur certains réglages…
François : On pourrait passer une vie à chercher à exploiter ces bateaux à leur maximum ! Mais il y a quand même une courbe : Au début, tu progresses très vite et tu arrives ensuite sur un palier. Là, on est sur le début du virage, on sent qu’on commence à aller dans les détails.
Est-ce que vous allez encore tester des choses sur cette Route du café ?
François : Des réglages oui, mais les systèmes sont figés. C’est à la marge. Il y a quelques mois, on s’était dit que le bateau devait être au départ de la Transat Jacques Vabre dans la même configuration que pour le Tour du monde. Ça ne veut pas dire que si on voit un truc qui ne va pas on ne changera pas.
Le fait que Tom devienne le skipper pour le Tour du monde a -t-il changé à bord votre façon de naviguer ensemble ?
Tom : Pas tellement non. J’ai progressé, je sais faire plus de choses, je suis plus à l’aise qu’au démarrage. On a progressé ensemble sur un fonctionnement qui est resté le même
Francois : Au début et l’année du Figaro de Tom (2022), j’étais très investi dans les aspects techniques du bateau et lui travaillait la performance. Ça a changé cette année. Les systèmes, il faut qu’il les connaisse. Tout 2023, il était en front là-dessus. Il a d’ailleurs passé sans doute plus de temps que moi sur le projet. On est complémentaires, mais chacun sait faire ce que fait l’autre. Au départ, Tom sera plutôt à la barre et je serai plutôt à la navigation et dans le cockpit à faire les manoeuvres et tourner les manivelles, ou en contact avec les routeurs. Mais c’était déjà comme ça il y a deux ans.